On savait déjà que l’embrasement de nos sens est chimiquement limité dans le temps. Quatre années, précisent aujourd’hui les spécialistes, au-delà desquelles mieux vaut dorloter nos parenthèses d’intimité.
Surfer toute une vie sur la crête du désir, se jeter l’un sur l’autre comme au premier jour sans que les enfants, la fatigue et les tracas professionnels grippent les rouages, beaucoup de couples au long cours en rêvent, mais peu le vivent. Non que la grisaille routinière soit une fatalité, mais on sait maintenant scientifiquement que la pulsion sexuelle est chimiquement programmée pour durer entre trois et quatre ans. Au-delà, le désir s’entretient ou s’éteint, faute de combustible. D’où l’amertume et l’incompréhension des couples qui découvrent, après avoir vécu des débuts enflammés, le déclin de leur libido.
« Au début de notre histoire, nous faisions l’amour trois ou quatre fois par jour, raconte Céline, trente-huit ans. Puis, après trois ans de vie commune, nous nous sommes mis à ressembler à ce que j’appelle « les abonnés du samedi soir ». Il ne restait plus rien de la passion qui nous jetait constamment dans les bras l’un de l’autre, on s’aimait mais on n’était plus reliés par ce lien charnel si fort. C’est moi qui ai rompu, je ne voulais pas me résoudre à une histoire d’amour plate et ordinaire. »
Pour la psychanalyste que nous avons rencontrée, le désir sexuel est naturellement présent dans la relation amoureuse pendant les quatre à cinq premières années de vie commune. « Au début d’une relation, la libido, notre énergie vitale, est massivement investie dans la sexualité, mais avec le temps, les investissements changent. On s’investit dans le travail, dans l’éducation des enfants, et la sexualité n’est plus prioritaire. » Le quotidien impose alors son cortège d’obligations et d’habitudes, et lorsqu’on s’aperçoit que l’intimité sexuelle du couple a fait les frais de cette nouvelle donne, il est parfois trop tard pour changer de cap.
« Le désir est un moteur qui a besoin d’être régulièrement alimenté, analyse pour sa part un sexologue. Il n’y a pas de secret, ses carburants essentiels sont une communication authentique, une séduction active et un esprit ludique. Sans la réunion de ces trois éléments, la routine s’installe. »
ATTENTION, DANGER
La baisse de désir sexuel ne s’abat pas sur le couple du jour au lendemain. « Il y a toujours des signaux d’alarme qui devraient mettre la puce à l’oreille », affirme un médecin urologue et gynécologue. Au top-ten de ces signaux: la fatigue lorsqu’elle est utilisée comme leitmotiv. Trop fatigués pour sortir, pour faire des efforts, pour faire l’amour.
« Je rentre tous les soirs à 8 heures, dit Luc, quarante et un ans. Je passe un peu de temps avec les enfants, j’aide Myriam à préparer le dîner. Résultat, on finit par s’écrouler sur le sofa à 10 heures, épuisés. » Difficile en effet, lorsque le quotidien est une véritable course contre la montre, de devenir des amants fougueux sur un simple claquement de doigts.
« Je connais par coeur la théorie, ironise Rosa, quarante et un ans, mariée depuis huit ans et mère de deux enfants. Partir à deux, séduire l’autre, prendre du temps pour soi… Mais quand les fins de mois sont difficiles et que l’essentiel du temps est pris par les enfants et le travail, on fait comment? » Une question que les thérapeutes connaissent bien. « L’erreur, analyse une thérapeute conjugale, est de penser qu’il y a d’un côté la vie quotidienne du couple et de l’autre sa vie intime. Le désir sexuel n’est que l’une des facettes de l’intimité. Si cette intimité est authentique, la sexualité du couple se modifie en fonction des données du quotidien et du temps qui passe, mais ne perd rien en qualité. »
Autrement dit, avant de songer à entretenir le désir sexuel, encore faut-il que l’intimité du couple soit réelle. « Et qui dit intimité dit qualité de communication, complète la psychanalyste, c’est-à-dire échange et partage: des idées, des émotions, des attentions. Sans ce lien intime, il est illusoire de penser que le couple peut, au bout de plusieurs années, avoir une sexualité satisfaisante. »
Si une intimité fragile peut avoir plusieurs causes, ses manifestations sont toujours les mêmes: des discussions superficielles et impersonnelles, l’absence de gestes et mots tendres dans les échanges quotidiens ainsi que l’absence d’efforts pour plaire à l’autre. On ne rit plus ensemble, on ne vibre plus ensemble, faire l’amour n’est plus un partage, mais un simple besoin physiologique qui s’atténue avec le temps. « Le problème, analyse l’urologue-gynécologue, c’est que l’on croit ce schéma d’usure inéluctable. Or c’est la frustration et l’insatisfaction passivement vécues qui mènent à l’échec. Il y a une donnée active et paradoxale dans le désir: pour qu’il existe, il faut avoir envie qu’il existe. » Une clé qui fait toute la différence entre les couples qui connaissent de simples baisses de régime et qui remontent la pente, et ceux qui déclinent jusqu’au point de non-retour.
LE DÉBUT DE LA FIN
Le silence qui s’installe, les conflits qui tournent au duel sont des signes objectifs que l’intimité du couple est en péril. Parmi les plus alarmants de ces signes, les comportements d’évitement. On ne se couche que lorsqu’on est sûr que l’autre dort, on se réveille avant lui, tout est prétexte à éviter le face-à-face intime…
Pour le sexologue, même s’il n’a aucune valeur scientifique, il est un critère qui ne trompe pas: le baiser. « Quand un couple ne s’embrasse plus, on peut dire que l’intimité est morte, et le désir sexuel avec. Le baiser est la métaphore de l’intimité sexuelle, ce n’est pas un hasard si les prostituées n’embrassent pas leurs clients. »
« Lorsque la présence de l’autre est un poids, qu’il suscite la gêne ou l’ennui, que son corps génère un rejet, il est clair que l’absence de désir et d’activité sexuelle ne font que révéler une cassure profonde et irréversible du couple, commente la psychanalyste. La relation n’a évidemment plus lieu d’être. »
Autre cas assez fréquent, un surinvestissement dans la maternité qui peut révéler tout en la masquant la fin du désir sexuel. « Lorsqu’une femme ne veut plus être que la mère de son enfant et non plus la maîtresse de son compagnon, détaille l’urologue-gynécologue, après l’accouchement, elle repoussera chaque fois plus loin la reprise des rapports sexuels et n’acceptera plus de faire l’amour que de temps en temps, pour ne pas perdre son partenaire. Ces femmes ne peuvent pas psychiquement mener de front leur vie de femme et leur vie de mère. Sans désir pour leur mari ou compagnon, elles ne désirent plus que l’intimité avec leur enfant. »
REMONTER LA PENTE
Ne pas se laisser engluer dans le fatalisme et le train-train, Peter et Héléne, qui vivent ensemble depuis cinq ans, y sont fermement décidés, même s’ils reconnaissent que depuis plusieurs mois leur vie sexuelle « flotte un peu ». « Dans notre couple, le sexe a toujours été très important, mais depuis que nous avons monté notre compagnie, tout notre temps est consacré au travail.
Même si on sait que ça ne va pas durer, on est quand même frustrés. Être ensemble 24 heures sur 24 n’est pas non plus facile à gérer, mais nous essayons de ne pas nous laisser enfermer dans une spirale infernale, parce qu’on sait très bien que moins on fait l’amour, moins on en a envie. » Un constat que les sexologues valident: « C’est une relation sexuelle satisfaisante pour les deux partenaires qui va leur donner l’envie de recommencer . Lorsque ce désir de ne pas baisser définitivement les bras est bien ancré et partagé dans le couple, les creux de vague ne sont que momentanés. »
Dès lors la fatigue, le stress, le temps consacré aux enfants ne sont pas les arbres qui cachent la forêt de la mésentente, mais de simples ralentisseurs qui se dressent inévitablement sur la route de chaque couple. « La force du désir et sa durée dépendent de ce que le couple décide d’investir dans sa relation, rappelle la psychanalyste, un souffle peut renverser un couple alors qu’une tempête renforcera tel autre. Prendre soin de l’autre, ne jamais rien considérer comme acquis et aussi accepter que la relation mûrisse et évolue sont des garanties pour que le désir dure. »
D’où l’impérieuse nécessité de communiquer ses attentes et ses besoins à l’autre. Une initiative que Laure-Anne n’a pas hésité à prendre lorsqu’elle a senti son mari moins présent dans leur relation. « C’étaient des détails, à peine palpables, mais pour moi il y avait péril en la demeure, je ne sentais plus son regard se poser sur moi de la même façon, il utilisait moins souvent le surnom qu’il avait inventé pour moi, il allumait systématiquement la télé en rentrant le soir. »
Une discussion sans mise au pied du mur, un regain d’attention à son égard, des tête-à-tête plus fréquents et Vincent, rassuré et revalorisé, a pu à nouveau s’autoriser à être un amant et plus seulement un père et un compagnon. Pour renouer avec l’intimité et entretenir le désir amoureux, inutile de chercher des recettes au rayon nouveautés. Psys, sexologues et autres conseillers du couple nous répètent à l’envi depuis des décennies les mêmes stratégies: privilégier les moments à deux, cultiver ce qui a fait que l’autre est tombé amoureux de nous, se parler, se toucher… Autant de pistes réalistes et efficaces mais qui restent vaines si l’envie de se donner ou de redonner du plaisir n’est pas à la source même de la relation.
Louis; 31 ans, célibataire: trois ans de vie commune avec Isabelle.
« Mon histoire avec Isabelle a commencé dans la passion; une passion physique dévorante: Je n’ai jamais été ce qu’on appelle un fou de sexe, mais avec elle, c’était un feu d’artifice de sensations et d’imagination. Je n’avais jamais rencontré une femme aussi sensuelle et à l’aise dans son corps qu’elle. »
« Après un an de relation torride, nous avons décidé de vivre ensemble. Deux ans plus tard, impossible de reconnaître celle qui voulait faire l’amour tout le temps et partout. J’ai mis du temps à voir les choses en face, il y avait toujours de bonnes excuses, son travail, les soucis que lui causait sa jeune soeur, bref au bout du compte, on ne faisait plus l’amour qu’une ou deux fois par semaine. Quand j’ai vraiment réalisé qu’on se figeait dans cette situation, je lui en ai parlé. Quelle surprise! Elle m’a déclaré qu’il fallait que je mûrisse un peu, qu’on ne pouvait pas avoir le même genre de relation en vivant sous le même toit, en travaillant et en gérant une relation. Ça a été la phrase qui m’a mis la puce à l’oreille: « Gérer la relation ». Pour moi, une relation, ça se construit, ça ne se gère pas comme une entreprise… »
Ça n’a pas été la seule discussion, j’ai fait des tentatives pour revenir à ce qu’on avait connu, petits week-ends en amoureux, sorties improvisées etc. Sur le fond, rien ne changeait, c’est-à-dire que j’avais l’impression qu’elle ne « se donnait plus » de la même façon, comme si le sexe entre nous était devenu secondaire. Une fois, alors qu’on discutait un peu fort, elle m’a traité d’obsédé, j’ai cru que je rêvais. Pendant un an, j’ai tout tenté, rien à faire. J’ai fini par comprendre que notre vision du couple et de la relation amoureuse étaient incompatibles sur le fond. Avec le temps, je suis même arrivé à me demander si son enthousiasme du début n’a pas été une manipulation pour « m’avoir « .
Caroline 39 ans mariée depuis neuf ans avec Simon. Ils ont une petite fille de quatre ans.
« Avec Simon, le sexe n’a jamais été primordial, nous avons toujours eu du plaisir ensemble mais avons toujours été davantage dans la tendresse et la complicité que dans la passion physique. Quand j’ai eu Liza, après deux fausses couches, mon univers a changé. Tout tournait autour d’elle. Pour Simon aussi. À partir de là, nous n’avons plus fait l’amour qu’une ou deux fois par mois. Nous ne nous sommes pas vraiment rendu compte du changement. Du moins, moi. »
« J’ai repris le travail huit mois après la naissance de ma fille, et le soir je n’avais pas vraiment l’esprit à la bagatelle. Nos rapports se sont espacés davantage. Ce rythme a duré pendant un an et demi, jusqu’au jour où j’ai reçu un coup de fil anonyme qui m’a appris que Simon déjeunait tous les jours avec une jeune stagiaire pas farouche. J’ai appelé Simon et lui ai demandé de rentrer à la maison. »
« Il n’a posé aucune question, il est rentré. Nous avons discuté pendant quatre heures. II n’a pas nié, il m’a dit qu’il en avait marre de passer après la lecture de « Parents » et « Famili », que j’avais transformé la maison en garderie et que, depuis la naissance de Liza, il avait l’impression d’être devenu transparent. C’était la stricte vérité. Il m’a dit qu’il avait couché trois fois avec cette fille qu’il n’aimait pas parce qu’il avait des besoins que je ne prenais plus en compte. Mais qu’il avait rompu après s’être rendu compte que ce n’était pas une solution. »
« J’ai tout encaissé sans rien dire. Dans ma tête, c’était clair: il fallait que je révise toute ma vie. Perdre mes dix kilos excédentaires, prendre une gardienne pour sortir le soir, et surtout, de temps en temps, confier Liza à ses grands-parents le week-end. Ça nous a pris quelques mois pour recaler notre relation. Mon problème venait de ma terreur de perdre Liza. En lâchant prise, j’ai réalisé que non seulement je pouvais vivre comme une femme, mais être une mère moins étouffante. Cela dit, ce qui nous a permis de retrouver une vie à deux, c’est notre amour et notre envie de rester ensemble. »