la passion

La « passion » scientifiquement analysée

Enfin! Le cœur a ses raisons, que la raison n’ignore plus tout à fait. Des experts ont découvert que l’amour vois le jour plus facilement du danger que de la tranquillité, de l’insécurité que de la confiance. La satisfaction sexuelle n’a pas forcément grand-chose à y voir et les hommes y sont encore plus vulnérables que les femmes.

L’amour est au coeur de nos vies. Nous passons notre temps à le chercher, à le rêver, à l’attendre. Nous allons parfois même jusqu’à en mourir. Pourtant, pendant des siècles, il est resté le domaine réservé des philosophes et des poètes, des chanteurs et des romanciers. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années qu’il est l’objet de recherches scientifiques à part entière.

Avant, cela ne faisait pas sérieux et puis on avait peur à y regarder de trop près d’en dissiper la magie. Mais depuis les années 70, divorces et séparations en progression constante ont provoqué un tel sentiment de solitude et d’isolation que l’amour en est devenu une nouvelle forme de pathologie. Un problème majeur.

« Dans nos sociétés occidentales, les gens désormais se séparent quand la passion amoureuse disparaît. Ce n’est pas sans effet durable sur une culture », dit Ellen Berscheid, professeure en psychologie à l’Université du Minnesota, une pionnière qui depuis vingt ans étudie méthodiquement les mécanismes de l’amour. Son but, comme celui de ses collègues: comprendre, expliquer et, si possible, enseigner à mieux aimer et réparer ce qui n’est peut-être pas irrémédiablement brisé.

OH MON AMOUR, MON UNIQUE AMOUR!

Elaine Hatfield, une collègue de Berscheid à l’Université du Minnesota, étudie depuis 25 ans les rouages de la passion amoureuse, « ce désir intense d’union totale avec l’autre ».

Elle a développé un questionnaire, The Passionate Love Scale (PLS), qui mesure les sentiments et émotions reliés à cet « état psychologique extrême »: obsession de l’autre, désir de tout connaître de son passé comme de son présent, idéalisation, besoin de faire plaisir, d’aider ou de protéger en toutes circonstances, bref, tout ce qui, positif ou négatif, anime l’amour passion.

 » Les amoureux fous, dit-elle, voyagent sur de continuelles montagnes russes et passent constamment de l’euphorie à l’angoisse, du calme à la panique, du bonheur au désespoir. C’est le mélange d’un peu d’espoir combiné à beaucoup de solitude, de chagrin, de jalousie et de peur. » Et ce qui stimule et entretient la passion, c’est justement cette juxtaposition du plaisir et de la douleur.

tomber en amour

La psychologue Dorothy Tennov a interviewé près de 500 amoureux: presque tous s’attendaient à vivre une expérience au mieux douce-amère. De ceux qui avaient déjà connu la passion, 10% en gardaient un souvenir si cruel qu’ils ne voulaient plus jamais la revivre.

Contrairement à la croyance populaire, si hommes et femmes sont également capables de passion, ce sont les hommes qui tombent généralement le plus vite et le plus fort. Les vrais romantiques, ce sont eux. Les femmes, elles, ont plus tendance à introduire un certain pragmatisme dans leurs émotions. Enfin, la passion frappe partout également, peu importe l’âge (même un enfant de quatre ans peut tomber passionnément amoureux), le milieu social ou la race.

Hatfield et d’autres chercheurs ont découvert que, loin d’être une particularité des sociétés occidentales, on en retrouve la trace partout sur la planète, très exactement parmi 147 cultures différentes, 89% des sociétés humaines. Un fait longtemps méconnu des ethnologues et sociologues américains ou européens qui, conditionnés par l’amour romantique tel qu’il s’est développé en Occident depuis 200 ans, ne savaient pas reconnaître ses variantes exotiques.

Dans nos sociétés, le coup de foudre est la voie royale de la formation du couple, où amour rime, théoriquement, avec toujours. Ailleurs, cette flambée de passion n’est généralement pas la base sur laquelle se bâtissent les mariages, qui obéissent plutôt à des impératifs sociaux ou économiques. Même en Amérique, et surtout en Europe, le  » mariage de raison  » est de disparition récente et se pratiquait encore couramment il y a une cinquantaine d’années.

Les histoires d’amour des autres continents prennent donc parfois les couleurs de l’interdit, de l’adultère que l’on peut aller jusqu’à payer de sa vie. Ou, au contraire, elles ne consistent qu’en un bref moment de passion dont témoignera bientôt un bébé supplémentaire parmi les enfants de la tribu. Mais tout donne à penser que longs ou brefs, socialement acceptés ou non, ces épisodes d’irrésistible fascination sont bâtis dans notre évolution génétique, ciment nécessaire à l’union et à la reproduction des êtres humains depuis la nuit des temps.

LA FASCINATION DU DANGER

danger amour

La peur, l’inquiétude ou l’angoisse jouent, semble-t-il, un rôle majeur dans le déclenchement de la passion. Elles l’entretiennent et la fouettent jusqu’à des hauteurs vertigineuses.

Arthur Aron, de Santa Cruz, s’est livré à une expérience originale mais instructive. Il a étudié la manière dont deux groupes d’hommes réagissaient à la présence d’une jolie femme. Les premiers devaient auparavant traverser une étroite passerelle de près de 150 mètres de long, qui se balançait au vent à 70 mètres au-dessus du sol. L’autre groupe, au contraire, n’avait qu’à traverser d’un pas confiant un pont large et solide avant de rencontrer la belle blonde qui les attendait sur la terre ferme.

La jeune femme expliquait alors à chacun des participants qu’elle faisait une recherche, puis lui demandait de remplir un questionnaire. Le travail terminé, elle lui tendait son numéro de téléphone en expliquant que, s’il était intéressé, elle se ferait un plaisir de lui expliquer en détail le projet.

Neuf des 33 hommes qui avaient vécu l’angoissante expérience de la passerelle ont appelé. Les bienheureux qui avaient profité du pont de pierre n’ont été que deux à téléphoner! Bien sûr, rien ne prouve hors de tout doute que les premiers n’ont pas agi par simple curiosité scientifique, mais Aron est persuadé que le moment d’excitation et de peur mélangées qu’ils avaient vécu a été déterminant dans leur désir de mieux connaître la demoiselle.

DIX PRÉCURSEURS DE L’AMOUR

À l’aide d’autres techniques, plus conventionnelles celles-là, Aron a déterminé 10 autres facteurs susceptibles de favoriser l’apparition d’un sentiment tendre. II les a d’abord répertoriés dans la littérature existante, puis a confirmé leur validité en demandant à différents groupes de personnes d’analyser les principales causes de leurs histoires d’amour respectives.

En tête de liste, on trouve, comme on pouvait s’y attendre, le caractère aimable et le physique attrayant de la personne rencontrée, mais la proximité (travailler ensemble, par exemple), la disponibilité d’esprit et des circonstances inhabituelles et excitantes ne se classent pas loin derrière. Étaient également cités le statut social, la capacité de l’autre à combler attentes et besoins, le sentiment de solitude et des caractéristiques particulières, comme la couleur des cheveux, l’expression des yeux, la forme du visage, etc.

avant l'amour

La grande surprise de l’enquête? Le désir de réciprocité. Le sentiment d’être aimé par l’autre joue un rôle aussi important que son potentiel de séduction physique ou intellectuelle. « C’est le mélange des deux, dit Aron, qui est décisif. L’attirance qu’on éprouve mélangée à l’attirance qu’on provoque. »

D’autres chercheurs ont reproduit le même type d’enquête dans trois sociétés différentes, aux États-Unis, en Russie et au Japon, et ont obtenu partout des résultats pratiquement identiques. Là aussi sont sortis gagnants, l’attirance réciproque, une personnalité et un physique séduisants. Statut social et approbation de la famille n’arrivaient qu’en bas de liste.

D’AMOUR OU D’AMITIÉ?

Beverly Fehr, de l’Université de Winnipeg, s’est intéressée, elle, aux distinctions qu’établissent les gens entre l’amour, l’amitié et l’engagement réciproque à l’intérieur du couple. S’agissait-il d’éléments complètement différents ou au contraire indissociables? Réponse: l’un et l’autre à la fois.

La plupart des gens ont associé la confiance, le souci de l’autre, le respect, la loyauté, le dévouement, le sacrifice et la satisfaction à la fois à l’amour et à l’engagement. Par contre, ils ont attribué uniquement à l’amour, l’intimité et le bonheur. Plus inattendu encore, la majorité des personnes interrogées considéraient essentiels à l’amour ces sentiments de confiance, de respect, de loyauté et de tendresse, au point d’accorder une moindre place à la passion sexuelle, à la beauté ou au contact physique.

En résumé, hommes et femmes considèrent l’amitié comme nécessaire et inséparable de l’amour. Les premiers accordent plus de prix à la satisfaction sexuelle, mais les deux s’entendent pour dire qu’en fin de compte tendresse et soutien psychologique sont plus importants encore que la plus romantique des passions.

SIGNES EXTÉRIEURS DE TENDRESSE!

tendresseComment se manifeste alors dans l’espèce humaine ce mélange de tendresse, d’amitié et d’attirance physique qu’on appelle l’amour? À quoi le reconnaît-on? Avant tout, les amoureux se parlent! De tout et de rien, des choses les plus banales comme des plus secrètes, de leurs problèmes et de leurs joies, de tout ce qui les rapproche. En même temps ils se touchent, se prennent par la main, s’embrassent et se serrent l’un contre l’autre.

Interrogés sur les attitudes qu’ils considéraient romantiques par excellence, 148 femmes et 48 hommes dans la vingtaine ont placé d’un commun accord en tête d’une liste de 10 éléments: « Se promener ensemble « . Venaient ensuite chez les femmes: « Recevoir ou donner des fleurs » et  » S’embrasser », puis les « Soupers à la chandelle « , et les « Câlins ». Les grandes déclarations d’amour, les « Je t’aime » n’arrivaient qu’en sixième position.

Chez les hommes, baisers et soupers à la chandelle se classent respectivement deuxième et troisième. Quant aux grands « Je t’aime », aux slows romantiques que l’on danse serrés et aux cadeaux-surprises à donner ou recevoir, tous trois cités par les femmes, ils n’apparaissent même pas dans leurs 10 choix. Par contre, ils sont les seuls à compter parmi leurs activités préférées: . »Se tenir par la main », « Faire l’amour » et « Rester assis au coin du feu ». On le voit, hommes et femmes, chacun à leur manière, accordent finalement à la tendresse une importance beaucoup plus grande qu’on le croyait.

LES SIX COLORATIONS DE L’AMOUR

Reste que l’amour se manifeste de façon différente d’un couple à l’autre, d’un partenaire à l’autre. Le sociologue canadien John Allen Lee en distingue six variétés. Elles peuvent en partie se mélanger et souvent alterner ou se succéder durant la vie d’un individu, mais un élément se révèle généralement dominant à l’intérieur d’une relation particulière.

L’être aimé ne réagit d’ailleurs pas forcément de la même façon et c’est par la capacité de chacun à reconnaître les caractéristiques et les attentes de l’autre que passe la solution de la majorité des problèmes de couple.

la couleur de l'amour

Il y a d’abord les érotiques, chez qui l’attirance physique et la satisfaction sexuelle jouent un rôle important. Puis les amis de coeur qui préfèrent une relation confiante et tranquille, basée sur l’amitié, avec un partenaire qui partage leurs goûts et leurs valeurs. Viennent ensuite les ludiques, charmants papillons qui mènent souvent plusieurs aventures à la fois et ne s’attardent jamais très longtemps, les pragmatiques, à la recherche du partenaire idéal en mesure de contenter tous leurs besoins, les amoureux fous, dépendants, possessifs et jaloux, qui passent constamment par des hauts et des bas et enfin les altruistes, qui trouvent leur plaisir à donner et pour qui la sexualité n’a qu’une importance secondaire.

Statistiquement, les hommes sont plus souvent ludiques, les femmes pragmatiques, amicales ou dépendantes, mais les deux sexes manifestent la même capacité d’amour érotique ou altruiste. Leurs différences sont finalement moins grandes que leurs similitudes.

Mais d’où viennent d’un individu à l’autre, homme ou femme, les différences enregistrées? En bonne partie des traces que nous gardons de notre enfance.

L’ÉDUCATION SENTIMENTALE OU LA FAUTE À MAMAN

Le premier être humain qui prend dans ses bras un bébé et se charge ensuite de le nourrir et de l’élever est probablement en bonne partie responsable du genre d’amoureux ou d’amoureuse qu’il deviendra.

Ceux et celles dont la mère (ou l’équivalent) était absente ou indifférente ne formeront que difficilement des liens d’amour ou d’amitié avec les autres. Ceux (la moitié d’entre nous à peu près) qui ont vécu une enfance protégée, calme et heureuse, trouveront dans leurs histoires d’amour la continuité d’un même bonheur.

Les autres, enfin, qui sont passés à travers une alternance de tendresse et de rejet, de présence et d’absence, chercheront toujours à combler leur angoisse, en quête de cette sécurité qui leur a toujours été refusée. Ce sont d’éternels insatisfaits, amoureux d’une inaccessible étoile, tragico-romantiques par excellence, dont les poètes nous racontent depuis toujours les passions frémissantes, les courtes mais hautes joies et les désespoirs profonds.

Voilà déjà de quoi alimenter les discussions! Ce n’est qu’un début. Désormais nos réactions les plus profondes, nos sentiments en apparence les plus spontanés passent aux rayons X des laboratoires de psychologie et de sociologie. Et nul doute qu’avec le temps, la radiographie se fera encore plus claire et précise. Faut-il s’en plaindre ou s’en réjouir? Ne ferait-elle que révéler à quel point, hommes et femmes, nous nous ressemblons dans nos besoins de tendresse et de complicité que ce serait déjà beaucoup pour le bonheur de l’humanité.

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